[…] du livre de Hassan Tabar : Le Santur persan (Cahiers d’ethnomusicologie 27, 2014 : 295-297)

Zia Mirabdolbaghi (ZM) s’interroge d’entrée sur « l’utilisation délibérée par l’auteur du terme ‘musique persane’ ». Son questionnement ouvre aussitôt à une critique feutrée sur une dissociation supposée entre ce que je suis devenu, depuis plus de trente ans de résidence en France, et ce que mon pays m’a légué comme Iranien. La remarque est ainsi formulée : « On constate depuis quelque temps chez les musiciens de la diaspora iranienne une tendance à privilégier ce qui sonne ‘persan’, plutôt qu’‘iranien’ » (p. 295).
Pour répondre à cette critique – choquante, car de nature plus identitaire
que scientifique – je me référerai à un passage du préambule de mon livre : « … Malgré l’authenticité et l’ancienneté de la musique persane, il nous manque une histoire précise et tangible avec laquelle on pourrait suivre la continuité de cette musique. C’est pourquoi nous sommes obligé, parfois, de nous servir de oeuvres des anciens grands poètes iraniens… » (SP : 18).
Cette citation montre que l’usage de l’adjectif « persan » ne répond à aucun parti pris, mais à un usage systémique. Mon distinguo entre « musique persane » et « poètes iraniens » n’est pas gratuit. Comme mes maîtres, tous héritiers de Lévi-Strauss, je sais discerner la race de la culture. Par leurs origines ethnique, les poètes (et les musiciens dont je parle aussi) sont pour la plupart iraniens. En revanche, la musique ici traitée (et cela est valable aussi pour la poésie) obéit à des modes culturels. L’Iran (comme entité dépassant les frontières actuelles) a toujours été divisé entre deux pôles culturels s’inscrivant dans la géographie entre ses écoles occidentales (de Tabriz à Ispahan) et orientales (de Hérat à Samarkand). La science orientaliste russe, celle qui a toujours porté les études linguistiques le plus loin (et la musique relève du langage) se sert des mots « persan » et « tadjik » pour distinguer ces deux pôles culturels : poésie persane versus poésie tadjik, musique persane versus poésie tadjik, etc… Dans mon livre, c’est uniquement de la musique persane qu’il s’agit, et non pas des musiques d’Iran. Il n’y a donc rien d’impropre, bien au contraire, dans ma terminologie.
Un autre point dans la critique de ZM témoigne de son manque de culture anthropologique. Cela fait déjà plusieurs décennies que la psychanalyse s’est invitée dans les études ethnologiques à travers des chercheurs comme François Laplantine. A la suite de Roger Bastide, il a montré comment le candomblé, outre le fait d’être une technique du corps, participe du sensible. L’ethnologue doit en rendre compte en laissant de côté les vieilles catégories aristotéliciennes. C’est malheureusement ce que fait ZM quand il reproche « une remarque de l’auteur qui peut paraître anecdotique, mais qui intéressera le lecteur occidental (sic), est celle concernant la ‘relation affective entre l’instrument et l’instrumentiste’ » (p. 296).

ZM, en homme sérieux pour qui seul l’intelligible compte, regrette que je ne présente « aucune analyse stylistique et comparative du jeu des maîtres et interprètes », alors même que mon « observation d’exemples musicaux à partir de partition » (et ce mot d’« observation » reflète bien mieux ma position d’ethnomusicologue
que l’« analyse », terme péremptoire !) couvre une cinquantaine de pages (p. 175-221), dont quinze transcriptions inédites sur les seize produites. Selon ce même critique, je serais « sans évoquer le passage de nombreux autres musiciens à la cour des ottomans », alors que, dès le début du livre encore, j’affirme
qu’« à la cour ottomane, essentiellement à la cour de Sélim III (1789-1807), beaucoup de musiciens sont persans » (p. 19). Il me blâme aussi de ne pas avoir lu Ali Ufki, alors que je le mentionne pourtant en disant qu’il « devint maître de musique et joueur de santur » (p. 19). A mon tour de poser une question à ZM : a-t-il bien lu mon livre ?

Paru dans Cahiers d’ethnomusicologie 28, 2015 : 307-308

Hassan Tabar

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