Hassan Tabar est un praticien du santur depuis l’âge de dix-sept ans. Il n’est pas qu’un praticien, également un épistémologue de son art. Pour entreprendre ce travail, il s’est mis modestement durant de longues années à l’écoute (en bénéficiant de leur enseignement) et au service (en éditant en France leurs enregistrements) des grands maîtres qui l’ont devancé.

Cette double approche n’a que peu à voir avec l’ethnomusicologie telle qu’elle se pratique encore aujourd’hui, et sans grande distance avec la période coloniale. Hassan Tabar n’a pas multiplié les enregistrements répertoriés en autant d’écoles imaginaires. Il oppose à cette prétention classificatoire manquant de relief ce qu’il appelle une « sociomusicologie » qui articule les apports de tel maître à telle ou telle époque comme les historiens savent le faire.

L’ethnomusicologue tire sa légitimité en se disant venir d’ailleurs : Hassan Tabar ne bénéficie pas de ce recul, et on le lui a suffisamment reproché. Ainsi, cet ethnomusicologue, qui joue de son recul à défaut de son savoir, lui a dit : comment peut-on être persan ?Hassan Tabar, son santur en mains, lui rétorque: Comment peut-on être ethnomusicologue ?

Hassan Tabar, en retournant cette question, montre l’infondé de la distance culturelle comme critère de scientificité. Car quelle scientificité peut-on prêter à une discipline qui applique, quel que soit le champ musical investi, les mêmes modèles. On a beau les dire « opératoires », dans le cadre de la musique classique persane, il la font passer pour de la musique traditionnelle et ravalent trop souvent son répertoire savant à de la musique vernaculaire. La sociomusicologie prônée par Hassan Tabar n’a pas peur d’employer le mot de savant dans ce cas, et de récuser la référence à l’ethnie.

Discours de Hassan Tabar à l’occasion de sortie du son livre (le 13 septembre 2013) :

J’ai vu venir en Iran sur le terrain des ethnologues patentés. Que dire de leurs pratiques ? Même s’ils portaient avant la révolution islamique les cheveux longs, depuis la barbe, même s’ils s’habillent de manière locale, ils n’en transportent pas moins avec eux une idéologie coloniale. Elle opère de manière quasi militaire en quadrillant le territoire, à l’affût de ce qu’un stratège aurait appelé des poches de résistance et qu’eux appellent des isolats ethniques. Ce sont de toutes petites unités créées par leurs soins de manière tout à fait artificielle.

C’est en ceci que l’ethnologie et l’ethnomusicologie sont filles du colonialisme.

Elles divisent pour régner, même si cette division a des prétentions scientifiques.

Une science, entre nous soit dit, vite rattrapée, par le commerce.

Monsieur l’Ethnologue qui a vécut 3 mois dans le petit village X, y a enregistré de la musique (quel registre? on ne sait pas) et il l’écoule à travers des disques comme la musique du petit village X, un produit typique. Ne trouvez-vous pas étonnant qu’à l’heure où l’Europe se construisait pour finalement trouver une unité économique, les ethnomusicologues européens ont découpé le monde iranien en autant de dialectes qui n’existent plus ?

Pour ma part, la sociomusicologie que je prône me permet d’avoir une vision détachée des contingences et d’embrasser les grands ensembles.

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