Bref rappel historique et technique

C´est en 1877 que Charles CROS décrit en France le principe du paléophone qui devint l´année suivante le phonogramme ; en 1877 Thomas EDISON d´une part et Werner von SIEMENS conçoivent une machine reproduisant des sons gravés sur un cylindre de cire et industrialisent chacun une « machine parlante » ; le phonogramme utilisant un cylindre de cire est industrialisé par EDISON en 1881. Cette invention est tout d’abord conçue comme une machine à dicter, avec comme extension possible l’enregistrement des discours d’hommes célèbres.

L’apparition du disque remonte à 1887 ; à la fin du XIX siècle, de nombreuses améliorations techniques furent apportées à cette invention, dont la plus importante est la mise au point en 1887 par un Allemand émigré à Washington, Emile BERLINER, du disque plat, qu’il appelle «Gramophone» ; enfin c’est en 1893 que sont vendus au public les premiers disques, issus de la Deutsche Gramophone, société créée par BERLINER.
Le cylindre, exploité par EDISON et la firme Columbia, et le disque plat deviennent des standards concurrents.

Vers 1898 BERLINER s’associe aux USA avec l’ingénieur Elridge JOHNSON (qui réalisa un moteur à ressort pour l’appareil) ainsi qu’avec Frank SEAMAN pour la commercialisation de l’invention ; ils fondent trois sociétés distinctes mais dépendantes, comprenant chacune le nom de Gramophon Company ; par suite d’arrivisme forcené et de désaccords financiers divers, ces compagnies divorcent rapidement ; Seaman se retire et crée la société Zonophon qui s’allie ensuite à Columbia, fabricant de machines à cylindres ; Elridge JOHNSON fonde, en 1898, la Consolidated Talking Machine Company qui prend le nom de Victor Talking Machine Company en 1901.

En Juillet 1897 à la demande de Berliner, William Barry Owen part en Angleterre pour les affaires commerciales de la Deutsche Grammophon ; il y constitue la société Gramophon Company ; l’année d’après en 1898, Josef Berliner, le frère de Emile, se rend à Hanovre en Allemagne pour construire une usine afin d’y éditer des disques (Sepantâ, 1987 : 118). En 1898, la société anglaise ajoute le mot de « limitée » à son titre qui devient donc The Gramophon Company Limited (société anonyme limitée).
En septembre 1899, M. W. Barry , président de la société, adopte l’image de la marque, sous l’appellation « His Master’s Voice » ; c’est la fameuse image du chien écoutant « la voix de son maître » dans un cornet acoustique de forme célèbre jouant le rôle de haut parleur.

En 1906, cette même société fonde une délégation en Iran et aussi une entreprise de diffusion en Angleterre (Hayes – Middlessex) (Sepantâ, 1987 : 116).

Le phonographe utilisé à l’époque était du modèle M qui avait un moteur électrique de 2,5 volts à courant continu alimenté par une pile. Ce phonographe permettait l’enregistrement et la diffusion du son. L’énergie électrique de ce phonographe était fournie par une pile du type ´Grenet´. Le cornet acoustique était en caoutchouc ; il était attaché à son extrémité à un diaphragme. Le moteur de cet appareil avait pour fonction de faire tourner régulièrement le cylindre à graver (Sepantâ, 1987 : 124-125-126).

Vers 1900, l’appellation ´phonographe´ fait place à celle de ´gramophone´. Les dimensions des cylindres étaient alors de 10,5 cm de hauteur et de 5,5 cm de diamètre. Il faut noter que c’est à cette date que Emile BERLINER commence à utiliser des disques qui arrivèrent plus tard en Iran.
Emile Berliner fut la première personne à commercialiser des disques qui furent diffusés sous l´étiquette : ‘1896 – Berliner’s Gramophon Co – Washington D.C.’.

La compagnie anglaise Electric and Musical Industries (E.M.I.) a racheté en 1931 les deux compagnies Gramophone et Columbia Gramophone. A noter E.M.I. est devenue aujourd’hui une grande multinationale qui est l’héritière de l’ensemble des compagnies Gramophone, Odeon, Columbia et Pathé ; elle possède encore certains courriers internes qui restent des sources de renseignements indispensables sur les dates d’activité, d’engagement et sur la nature des émoluments versés aux artistes.

Introduction à l’Histoire des enregistrements en IRAN

Les enregistrements du répertoire Iranien ont été classés en fonction des différentes zones géographiques d´enregistrement ; on distingue quatre zones bien distinctes : le sol Iranien proprement dit, les contrées voisines comme le Caucase ou les régions transcaspiennes, les régions orientales (Inde et Afghanistan), et enfin l´Europe.
Mais nous avons préféré une classification chronologique qui nous semble beaucoup plus rigoureuse parce qu’elle correspond à des périodes historiques bien identifiables. Les premiers enregistrements de Musique Iranienne (avant -1906), la deuxième période d’enregistrement de 1906 à 1915, la troisième période de 1915 à 1926 et enfin une quatrième période de 1926 à 1940.

1898 est la date du premier enregistrement de musique connu réalisé en Iran ; c’est cette date, cité par Sepantâ (1987 : 81) qui sert évidemment de point de départ pour notre étude.

La date de 1906 marque un tournant important ; c’est à cette date que Mozaffareddin Shâh émet son autorisation (farmân) de commercialisation en Iran en faveur de la compagnie Gramophone. Cette date marque donc bien la fin de l’époque des enregistrements privés. Une nouvelle période d’enregistrements va donc débuter et se terminer en 1915 par le début de la grande guerre.

Pendant plus de dix ans (de 1915 à 1925) la situation mondiale (première guerre mondiale et ses conséquences diverses économiques et sociales) ne permettait pas de produire des disques. De plus à cette époque, survint un changement de régime politique important en Iran : le départ du dernier roi Qâjâr Ahmad Shâh et l’avènement de la dynastie Pahlavi (1925). Une quatrième période commence donc en 1925 pour se terminer en 1940 avec la deuxième guerre mondiale et la création de la Radio Nationale Iranienne.
Dans chacune de ces périodes, nous étudions les techniques d’enregistrements utilisées (prise de son, supports utilisés, durée, studio,…), et les producteurs (compagnies, sociétés, distributeurs, commercialisation,…)

Première période – Avant 1906 : le cylindre

A la fin de l’époque de Nâsereddin Shâh (1848-1896), célèbre monarque de la dynastie Qâjâr (1786-1925) et grand amateur d’arts, l’usage du phonographe était uniquement privé ; il était même réduit à l´entourage du Shâh lui-même ; ce dernier affirme même que le phonogramme n’existait que chez quelques privilégiés : « On a apporté un phonographe qui est d’une autre catégorie que celle que nous possédons à Téhéran ; le son et les paroles sont bien mieux rendus et beaucoup plus nets » (Nâsereddin Shâh, 1892 : 196).

A partir de 1898, on trouve encore d’autres citations au sujet de cette machine :
Âref-e Qazvini (1880-1933), écrit : « le Shâh (…Mozafareddin Shâh …) a entendu parler de moi ; il a acheté beaucoup de choses inutiles pendant qu’il était à l’étranger dont plusieurs phonographes petits et grands pour enregistrer quelques cylindres … » (Hâeri, 1986 : 10). Or Âref célèbre musicien, chanteur et poète originaire de la ville de Qazvin, est arrivé à Téhéran en 1898 (Hâeri, 1986 : 97) alors que le Shâh ne serait parti à l’étranger qu’en 1900 ; il est donc clair que les phonographes dont Âref parle avaient déjà été introduits en Iran avant 1898.

C’est en cette même année 1898 que le Shâh demanda à Âref de devenir son musicien privé. « Quand je suis arrivé á la cour royale, il y avait quelqu’un (Morâd khân) qui jouait du târ et une autre personne de la cornemuse ; sa majesté jouait du piano ; les instruments n’étaient pas justes et la sonorité de l´ensemble était horrible, c´était un vrai supplice pour mes oreilles au point de me dégoûter de toute musique. Sa majesté me présenta le phonographe et me demanda de chanter ; il fut ravi et enthousiaste et m´ offrit une belle somme d’argent (500 tuman) ; son altesse royale ordonna alors que j’enlève mon ammâmeh (turban traditionnel persan) et que je devienne son musicien de cour; mais j’ai préféré garder mon turban et refusait l’offre du roi » (Hâeri, 1986 : 105).
Pendant le deuxième voyage du Shâh en Europe, en 1902, il est encore question des phonographes. « Le Shâh demanda à son ambassadeur d’acheter un phonographe dont le cylindre était de la taille d’une balle ; il en avait pour 400 tuman alors que celui que j’avais acheté moi-même coûtait 80 tomans » (Sepantâ, 1987 : 90). Ou encore : « ce matin, les musiciens sont venus au bord de la mer et on a enregistré quelques cylindres » (Sepantâ, 1987 : 91).

A l’époque de Mozafareddin Shâh (1896-1907), une dizaine d’appareils est importée en Iran ; en effet, ils deviennent petit á petit moins onéreux et beaucoup de familles riches pourront à cette époque acquérir une « machine parlante » (Sepantâ, 1987 : 85).

Selon Sepantâ, c´est à partir de 1897 que de nouveaux cylindres, du modèle standard de l’usine Edison, commencent à arriver en Iran (1987 : 78).
Nâssereddin Shâh au cours de son voyage en Angleterre écrit dans son journal (1892 : 196) en date du 8 juillet 1889 : « nous étions invités au château ; dans la cour où il y avait beaucoup de lumière et trois danseuses de dix à douze ans qui se produisaient ; un américain vint vers nous pour présenter le phonographe ; d´après la traduction de Nâzemoddowleh, nous avons compris que ce phonographe était d’une technique plus avancée que ce que nous possédions en Iran (on pouvait enregistrer et écouter sur le même appareil) ; j´ai ensuite demandé à mon adjudant qu’il parle dans le phonographe. Ce qu´il dit fut répété très exactement ; l´américain nous promit de nous offrir ce nouveau phonographe ».

L’américain dont il est question est le Colonel Conrad, représentant de la société Edison en Angleterre ; il avait pour mission de commercialiser les voix des grandes personnalités mondiales pour les envoyer en Amérique.
Dans ce même journal de voyage, Nâssereddin Shâh écrit : « dans l’exposition universelle qui avait lieu à Paris, un stand qui s’appelait ´Edison Office´ était consacré au phonographe ; plusieurs phonographes et téléphones y étaient présentés ; chaque phonographe était installé sur une table comme des machines à coudre ».

M. Dustalikhân, le fils de Dustmohammadkhân (gendre de Nâssereddin Shâh) écrit dans son journal (Sepantâ, 1987 : 81) : « mon père avait acheté deux phonographes … Dans les soirées privées, on enregistrait de grands musiciens sur des cylindres ; on a enregistré le ney (flûte de roseau) de Nâyeb-Asadollâh , le santur (cithare à mailloches) de Sorur-ol-Molk, et le târ (luth à long manche) de Hosseyn Qoli … Ces cylindres sont en ma possession » ; la date de ces enregistrements est même précisée : 11 Août 1898.

Un journal iranien parle du phonographe ; il est écrit par exemple dans un article que « parmi les inventions, le phonographe prend une place importante (journal Sorâyâ, édité au Caire le 2 avril 1899 – n° 23 – 1ère année).

Avant 1906, quelques familles riches, le plus souvent proches de la cour des Qâjâr, possédaient un phonographe à cylindre, mais personne ne connaît exactement l’origine de ses appareils ; aucun document ne permet de comprendre comment ces phonographes ont été introduits en Iran ; certes, Nâsereddin Shâh fut le premier à posséder ce type de machines ; il est donc possible que le Shâh ait offert quelques uns de ces appareils à ses sujets. Mais il est aussi possible que des voyageurs iraniens en aient ramenés d’Europe ou que d’autres aient été importés par des agents ou voyageurs étrangers. Au sujet de l’introduction du premier piano, Sepantâ écrit (1987 : 81) qu’elle date de la dix-huitième année du règne de Nâsereddin Shâh, donc de 1866 ; Sepantâ a recueilli cette information dans le livre de Dustalikhân (le fils de Dustmohammadkhân, gendre de Nâsereddin Shâh) « Rejâl-e asr-e Nâseri » (‘’la noblesse à l’époque de Nâsereddin Shâh’’)

Dans ce même ouvrage, la vie de la riche famille de Dustmohammadkhân, gendre de Nâsereddin Shâh, est bien sûr décrite ; ce personnage était fort apprécié par le Shâh, à tel point que les musiciens de la cour royale, qui n’avaient le droit de jouer que pour le Shâh, venaient souvent chez lui ; Dustmohammadkhân, amateur de musique, connaissait donc tous les musiciens de cour, de plus, il avait d’excellentes relations avec le ministre des Affaires Etrangères du Shâh, le célèbre Atâbak. Pendant ces réunions musicales, les invités s’amusaient et s’étonnaient des possibilités offertes par le phonographe ;
il semble donc que les premiers enregistrements de musique classique iranienne aient été réalisés chez Dustmohammadkhân. Sur certains des cylindres gravés à cette occasion, on entend au début de chaque enregistrement la voix de Dustmohammadkhân précisant la date du jour et présentant l’artiste qui va jouer : « Hosseyn Qoli chante et joue dans le mode navâ » (Sepantâ, 1987 : 379). Il a ainsi enregistré quelques grands musiciens de cour comme Sorur-ol-Molk (joueur de santur), Nâyeb Asadollâh (joueur de ney et Sâdeq Khân (chanteur). C’est lui aussi qui a effectué le célèbre enregistrement de la voix du ministre du Shâh Atâbak, de sa propre femme Heshmat-od-Dowleh (la fille du Shâh) et du photographe du Shâh (ces cylindres datent de Janvier 1899 à 1901).

Sepantâ a rencontré personnellement Dustalikhân (le fils de Dustmohammadkhân) et a retravaillé le son de ces cylindres qui sont véritablement des documents historiques (1987 : 370-371-379). On y entend Heshmat-od-Dowleh dire : « … parmi toutes les innovations techniques actuelles, l’une des plus importantes est le phonographe qui va maintenant enregistrer ma voix et la conservera pour toujours comme souvenir … » (enregistré en janvier 1899). Dans un autre cylindre qui date du 15 mars 1899, on peut relever le dialogue suivant. – [voix de Dustmohammadkhân] :

« … Aujourd’hui, nous sommes le dernier mercredi de l’année et j’ai autour de moi quelques amis … », puis, il cite le nom de ses invités ; – [voix de Amin-ol-Mamâlek qui plaisante] : « c’est moi qui lui met chaque mot dans la bouche car il ne sait pas parler » ; – [voix de Dustmohammadkhân] : « je n’arrive pas à parler, il ne me laisse pas parler et n’arrête pas de me faire rire ». On ne sait pas combien de cylindres ont été enregistrés par Dustmohammadkhân, mais. Sepantâ affirme que beaucoup ont été perdus ou abîmés et devenus inaudibles.

On ne sait rien sur la rémunération de ces musiciens ; d’ailleurs on peut penser qu’il n’y avait sur ce sujet aucune équivoque puisqu’ils étaient tous des musiciens de la cour royale donc directement entretenus par le Shâh lui-même. Sepantâ parle aussi d’un musicien (sans doute le chanteur Sâdeq Khân) qui a accompagné en 1900 Mozaffar-ed-Din Shâh lors de son voyage à Paris, et qui aurait effectué des enregistrements à titre privé dans cette ville ; ces cylindres auraient été ramenés en Iran et donnés à Dustmohammadkhân.

Kinnear pense lui que les premiers enregistrements connus du répertoire persan sont en fait des récitations enregistrées à Londres au début de 1899. Ces enregistrements faisaient partie d’une série « Orientale » prise par la Gramophone Company et qui comportait aussi des enregistrements en Hindi, Urdu et Sikh par des personnes inconnues (Kinnear, 2000 : 3). La seule indication de l’identité d’un acteur persan dans cette série est le nom de Ahmad (qui récite des poèmes de Hâfez, le grand poète lyrique persan né à Shirâz vers l’année 1320 et mort en 1389) ; cette indication apparaît dans le catalogue de Berliner en 1899.

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