J’ai regroupé sous ce titre les maîtres ayant adopté la notation écrite pour transmettre leur savoir.
La période couvrant la fin du XIXe et le début du XXe siècle fut très riche en événements politiques et sociaux. Le pays s’est profondément transformé, dans tous les domaines : les arts, et la musique en particulier, ont subi des changements significatifs, dus à leur rencontre avec l’Occident ; la musique obtint une reconnaissance légale.

Cette période fut marquée par l’organisation de nombreux concerts publics. Outre les concerts, l’ouverture d’écoles de musique fut un autre événement remarquable de cette période sans mémoire sonore. En 1914, l’école militaire Dâr-ol-Fonun ouvrit un département de musique sous la direction du général Minbâshiân (1861-1935) ; c’est en 1916 que ce département se sépara de l’école militaire et devint une école de musique publique indépendante.

Surtout après la évolution constitutionnelle de 1906 (mashrûteh). le statut de maîtres de musiques se transforma avec ces changements socio-politiques. Avec la fin de la dynastie Qâjâr, les musiciens durent quitter la cour, et ils perdirent leurs mécènes. En effet, initiant la dynastie des Pahlavi (1925-1979). Rezâ Pahlavi, déposa en 1925 le dernier Shâh Qâjâr, Ahmad Shâh, et s’empara de la couronne. Il imposa la modernisation, l’occidentalisation et la sécularisation du pays. Ces mesures rencontrèrent une forte opposition du clergé et des propriétaires fonciers.De plus il s’intéressait peu à la musique.

Le seul instrumentiste important de l’époque du moins parmi ceux qui furent enregistré, était Habib Somâ’i (1905-1946). Malheureusementse enregistrements sont en nombre relativement réduit et ne correspondent pas à sa période de maturité. Ceux que nous pouvons encore entendre aujourd’hui sont sans comparaison avec ce qu’il jouait à la fin de sa courte vie. Cet artiste était très méfiant et s’il se rendait compte que quelqu’un l’avait enregistré (après 1940), il exigeait immédiatement que cela soit effacé ; certaines prises réalisées à la radio (à ses débuts) ont été effacées pour enregistrer d’autres musiques.

Après 1940, Somâ’i fut l’un des premiers artistes à être invités à la radio pour enregistrer et le public découvrit alors pour la première fois le son du santur. C’est Sabâ qui encouragea Somâ’i à ouvrir une école de santur. Plus tard, certains de ses enregistrements furent effacés ; d’autres existent encore certainement dans des collections privées.
On connaît beaucoup mieux ce musicien que les précédents, car de nombreux musiciens contemporains ont eu l’occasion de l’écouter et de le côtoyer ; malheureusement, son caractère difficile et son décès trop précoce ne lui ont pas permis de créer véritablement une école de santur ; pourtant, tout le monde s’accorde à dire que Habib est le père du santur savant contemporain et tous les grands joueurs de santur ont étudié ses œuvres et son style de jeu.

Le maître Abolhassan Sabâ (1902-1957) disait de lui qu’il était un génie . Sabâ, qui fut brièvement l’élève de Somâ’i, transcrivit un certain nombre de gusheh joués par Somâ’i en segâh et chahâr’gâh, qui pourraient constituer une partie d’un radif propre au santur ; ces gusheh font actuellement partie de l’enseignement du santur par la méthode de Abolhassan Sabâ.

Somâ’i séduisait aussi par sa conversation. De tempérament jaloux, il évinçait les élèves qu’il jugeait trop doués, mais sa disparition prématurée n’en fut pas moins profondément regrettée par tous .

Qobâd Zafar (1905-1994), l’un de ses fidèles élèves, affirme que Somâ’i demandait toujours à ses élèves de suivre d’abord les leçons de Sabâ . Mais le jeu de Somâ’i était, de l’avis unanime de tous les témoins, exceptionnel. Borumand témoigne : « Parmi les cent fois que Habib introduisait le mode homâyun et jouait le darâmad, aucune ne ressemblait à une autre ; il jouait une heure sans jamais répéter la même phrase » . Nous nous rappelons avoir demandé à Pâyvar ce qu’il pensait du jeu de Somâ’i ; il nous raconta qu’il ne l’avait jamais écouté mais qu’il avait entendu dire que Rezâ Shâh Pahlavi (1878-1944) avait invité pour une soirée deux musiciens, le pianiste Moshir Homâyun Shahrdâr et Habib Somâ’i ; Rezâ Shâh n’était certainement pas un spécialiste de la musique et lorsqu’il écoutait les instrumentistes, il avait l’habitude de déambuler de long en large ; mais, ce soir-là, après avoir écouté le pianiste et lorsque Habib se mit à jouer, il s’assit tranquillement.

Abolhassan Sabâ
Sabâ (1902-1957) est connu du grand public comme violoniste et il faut dire qu’il est bien mal reconnu. Ses maîtres furent Mirzâ Abdollâh (1854-1918), Darvish Khân (1827-1926), Hoseyn Khân Esmâ’ilzadeh (mort en 1941) et Ali Akbar Shâhi (1857-1923). Sabâ fut aussi l’élève de Ali Naqi Vaziri, devint son favori puis son bras droit dans les entreprises de ce grand musicien. Après la fondation à Téhéran du premier conservatoire de musique par Vaziri (1923), celui-ci demanda à Sabâ de fonder un conservatoire régional à Rasht (1927). Ses nombreux séjours dans le nord de l’Iran lui ont sans doute fait comprendre l’importance des musiques régionales et on peut dire qu’il fut le premier chercheur dans le domaine du folklore musical iranien. Ses nombreuses recherches sur les mélodies du nord de l’Iran l’ont amené à créer de nombreuses nouvelles mélodies (zard-e malijekuhestâni) qui sont devenues des classiques de la musique savante. Il a ainsi introduit dans le radif de nouveaux gusheh (gilaki, deylamân, amiri) joués aujourd’hui par tous les instrumentistes.
Il est obligatoire de mettre en valeur les travaux de Sabâ, puis nécessairement ceux de Pâyvar ; on ne peut en fait parler de l’un sans l’autre.

Farâmarz Pâyvar
C’est en 1949, trois ans après la disparition de Somâ’i, que Pâyvar (1932-2009) devint l’élève de Sabâ. Il devint vite un collègue précieux pour Sabâ qui a publia en collaboration avec lui quatre recueils de notations du radif pour le santur. Très aguerri par cette expérience, Pâyvar, parmi ses compositions, nous a légué ses trente pièces de chahâr’mezrâb qui résument aujourd’hui tout le jeu et les techniques de cet instrument. Il était le seul maître de musique persane, avec plusieurs activités : l’enseignement, la composition et les concerts. Il publia beaucoup de partitions et, surtout, il enregistra de nombreux solos de santur. On lui doit un répertoire complet pour le santur, une dizaine d’heures, sous la forme de disques 33 tours, de cassettes et de CDs en Iran, en Allemagne et en France. J’ai personnellement édité une cassette et un CD

Il fut le premier santuriste, ou l’un des rares, à avoir rassemblé un ensemble de musiciens dans les années 1960 avec lequel il donna de nombreux concerts. Il rassembla toutes les compositions classiques et les arrangea selon ses goûts. Grâce à lui, on a pu préserver notre héritage musical. Son ensemble, essentiellement constitué d’instruments persans, était reconnu pour sa justesse, son rythme, ses nuances, sa sonorité. Il est très difficile d’accorder ensemble plusieurs instruments iraniens, surtout quand l’ensemble comporte un kamancheh. « Pâyvar est sans doute le plus grand joueur de santur de la jeune génération, il connaît parfaitement le radif, possède une technique éblouissante et raffinée et a publié une méthode de santur très courue ».

Il estait issu d’une famille aisée et cultivée. Son grand-père, Mosavar od-Dowle, était peintre et musicien à la cour des Qâjârs et son père était peintre et professeur de français. Élevé dans un contexte familial où l’art avait une place importante, il s’orienta définitivement dès l’âge de 17 ans vers une carrière artistique. Il s’initia donc à la musique sous la direction de maître Sabâ pour apprendre le santur. Il étudia pendant dix ans et acquit la connaissance du cycle intégral du radif ; après la disparition de son maître, il approfondit encore ses connaissances auprès des maîtres incontestés de son époque, Davâmi, Ma’rufi et Borumand.

À partir de 1962, il séjourna en Angleterre quelques années ; il y apprit l’anglais et enregistra régulièrement pour la radio BBC des parties du radif. À son retour, grâce à son travail acharné, il transcrivit tout le répertoire de la tradition orale en notation européenne et par sa créativité composa de nombreuses pièces instrumentales pour soliste et orchestre. À partir de 1965, il poursuivit sa carrière musicale au Ministère des Arts et de la Culture, d’abord en tant que professeur de santur puis comme chef de l’Orchestre National de la Radio-Télévision, pour lequel il écrivit également les arrangements.

Si Somâ’i fut le dernier d’une lignée d’ancienne tradition, Pâyvar fut sans nul doute le premier maître d’une nouvelle génération.

Hoseyn Sabâ
Hoseyn Sabâ (1924-1960), qui fut l’élève de Abolhassan Sabâ (il n’y a aucun lien de parenté entre ces deux musiciens), a lui aussi beaucoup aidé son maître pour la transcription de ses quatre volumes du radif pour santur ; il connaissait bien le jeu de Somâ’i puisqu’il suivit son enseignement pendant quelques temps ; il se rendait donc compte des difficultés qu’un étudiant pouvait rencontrer pour jouer les notes de ces quatre opuscules. C’est ainsi que Hoseyn Sabâ eu l’idée de mettre au point une méthode de santur plus élémentaire et graduelle (1956). Il présenta lui-même son manuel en dix pages et y écrivit que c’est grâce à ses études et son expérience de la musique classique occidentale (outre le santur et le violon, Sabâ jouait aussi du piano) qu’il eut l’idée de mettre au point une méthode pour le santur.

Hoseyn Malek
L’un des meilleurs élèves de Sabâ fut Hoseyn Malek (1925-1999). Il commença son apprentissage à huit ans avec Somâ’i, mais celui-ci refusa de continuer à lui donner des cours peu après ; il continua donc avec Sabâ. Il travailla également avec des maîtres comme Borumand ou Mokhtâri. Il fut soliste à la Radio et la Télévision Nationale. Il apprit sous la direction de Sabâ la fabrication du santur et apporta quelques modifications à cet instrument. Malek donna beaucoup de concerts hors d’Iran.

Mohammad Heydari
Mohammad Heydari est né à Téhéran (1937-2017). Ses maîtres furent Sabâ, Davâmi (1891-1980) et Mohamad Mojarad Irani (1871-1971). En 1955, il joua avec l’ensemble de Sabâ. En 1961, il fut professeur au Conservatoire de Musique National (honarestân-e musiqi meli) et dirigea un ensemble avec lequel il interprétait ses compositions.
Il donna beaucoup de concerts à l’étranger et il a quitta l’Iran après la révolution de 1979 pour s’installer aux États-Unis. Parmi les élèves de Sabâ, nous pouvons citer Dâryush Safvat (né en 1928), Manuchehr Jahânbeyglu (1926-1990) ou Dâryush Saqafi (né en 1942), entre autres.

Non classé

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *